Lafoda couverture
T*ump - Partie 1
Il descend du podium.
Des cris, des applaudissements, des flashs d’appareils photo immortalisent ce moment qu’il avait tant attendu : être reconnu comme étant le porte-parole du parti des éléphants.
Porte-parole de quoi ?
Redonner de sa vigueur aux États-Unis, souffler dans le ballon du rêve américain qui semble perdre de l’air depuis quelques décennies.

« Refaire l’Amérique grande ! » répéta-t-il en français avec un sourire tout en tapotant l’épaule d’un journaliste français qui lui traduit son slogan de campagne.


Qui l’aurait cru ?
« Même Ivana n’en revient pas, j’en suis sûr ! Je le lui avais pourtant bien dit : un jour, je serai président des États-Unis d’Amérique ! Elle ne m’a pas pris au sérieux cette conne. Et bien aujourd’hui, elle doit s’en mordre les doigts vu mon ascension vers la maison blanche. » Aimait-il à penser.
Il se dirige d’un pas vif vers les coulisses, suivi de ses deux gardes du corps, Mickey et Goofy.
Donald n’avait pas de temps à perdre : « Time is money my friends ! », lança-t-il d’un ton amusé et prophétique à un groupe de groupies qui attendait inlassablement ses autographes.
Ils prennent un ascenseur, les deux malabars devant la porte : cette touche sécuritaire est l’atout stylé et officiel qu’il s’est permis depuis peu : « Ça me donne l’air sérieux, ça me donne l’air officiel et ça me permet d’éloigner tout Mexicain fou furieux désireux de ma perte ! Je les aurai tous, by the way. »
Ils se retrouvent au sommet de son building, la T*ump Tower, un hélicoptère prêt à s’envoler.
Direction ?
El Paso, pour y rencontrer le président de la compagnie Wallforall, Bibi Gorsky, autour d’un bon scotch.
Bibi Gorsky était connu de tous les dirigeants qui se nourrissaient d’élans séparatistes dans le monde.
Son expertise compte un certain nombre de bijoux architecturaux comme le Peace Walls de Belfast, le mur séparant le Maroc de l’enclave espagnole Ceuta, le mur séparant la Corée du Nord de la Chine, le mur séparant l’Inde du Cachemire et bien sûr, le top du top, la crème des crèmes, la panacée de tous les murs, celui qui sépare la Palestine d’Israël.
Fils d’un ancien politicien reconverti dans le développement des Kibboutz et d’une artiste-peintre célèbre pour ses œuvres élaborées à partir du sang de ses menstruations, il entre à 16 ans seulement à la très prestigieuse London School of Commerce. C’est durant ses études qu’il fera la connaissance de futurs hauts responsables politiques et de quelques-uns des hommes d’affaires figurant parmi les plus influents dans le monde du commerce en fréquentant assidûment les Gentlemen’s Clubs.
Bibi a su se construire un réseau conséquent qui lui permit de bâtir dix ans plus tard, une compagnie spécialisée dans la construction. Sa compagnie, la TechBlock.20 offrait tout genre de services comme la construction de buildings, la création de parcs industriels, l’élaboration de ponts, la mise en place de complexes pétroliers ou encore, le développement gratuit d’infrastructures sociales en Afrique. Et pour que tout ça soit plus attractif, il créa une compagnie annexe appelée SecuBi, spécialisée dans la sécurité.
La compagnie de Bibi construit sa réputation sur le mur qui devint sa marque de fabrique : profitant du réseau de son père et de l’investissement de ses amis hauts placés, il réussit à décrocher le pompon : ériger un mur séparant la Palestine d’Israël. Sa compagnie reçut un bon pactole et il devint un des symboles forts en Israël : on l’appelait « l’Architecte ».
À partir de ce moment-là, la TechBlock.20 fut révélée aux grands acteurs de ce monde comme étant la compagnie leader dans le monde de la construction. Son ascension fut en grande partie nourrie par le fait que la TechBlock.20 ne se voulait pas publique et ne se dirigeait qu’à une seule niche : le pouvoir et ses représentants. Elle leur assurait toute la privacité administrative possible et inimaginable.
Bibi était quelqu’un qui se laissait aimer : tout le monde appréciait sa présence et sa bonhommie. Bon père de famille et mari modèle, il représentait l’homme accompli et prospère qui sut travailler dur pour arriver là où il était.
Un jour, alors que Bibi lisait le journal pendant que sa fille jouait dans un parc, un petit garçon visiblement ennuyé s’approcha de lui et s’assit sur le même banc.
L’enfant le fixait.
Bibi s’en était aperçu, mais continuait à lire comme si de rien n’était.
L’enfant continuait à le fixer.
« Qu’est-ce qui me veut lui ?! » se demanda-t-il agacé.
— Salut toi ! Où sont tes parents ? Lui demanda-t-il tout en s’efforçant de cacher son agacement par un sourire, ce qui eut pour but d’effrayer le gosse qui s’en alla en courant.
« Bon débarras ! »
Mais l’enfant revint sereinement et se rassit à côté de Bibi et lui demanda :
— c’est quoi votre travail ?
— Je construis des maisons, des ponts, des puits, des murs pour des gens très très riches ! D’ailleurs, ils travaillent dans quoi tes parents ?

— Vous n’êtes pas beau !


— Oui je sais. Ma femme me le dit souvent.
« Bah tu n’as pas vu ta tête de con tiens ! Toi quand tu vas grandir, on ne va pas te prendre au sérieux ! Alors que ma laideur à moi, elle impose tout de même le respect.
P’tit con va ! ».
— Et pourquoi vous construisez des murs ?
— Pour ne pas voir des têtes comme la tienne lui répondit Bibi sereinement et ne pouvant plus cacher son irritation.
C’était son moment de détente et ça n’allait pas être un mioche qui allait le lui détruire.
L’enfant le fixa.
Bibi le fixa aussi.
« Il veut jouer à qui regardera le plus longtemps l’autre ce puceau ?! Et bah on va jouer ! ».

Quant à l’enfant, il s’imagina la tête de Bibi rapetisser en une sorte de barbe à papa rose et tendit son doigt vers cette gourmandise.
Bibi évita ce doigt avec un geste irrité de la tête.


— Tu veux pas aller jouer avec tes amis ? Ils sont où tes parents ?
— Ils sont morts.
Bibi cessa soudainement son élan d’attaque et se rendit compte qu’il se trouvait devant un enfant.
— Oh, je suis désolé mon petit. Tiens, tu veux un bonbon ? lui proposa-t-il tout en lui tendant un bonbon.
L’enfant le lui prit et lui redemanda :
— Pourquoi vous construisez des murs ?
— Pour nous défendre des méchants.
— C’est qui les méchants ?
— Les méchants ce sont les Arabes.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils nous font des méchancetés.
— Comme quoi ?
« Mais qu’est-ce qu’il est chiant ce gosse ! »
— Bah comme tuer des gens.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont méchants.
— Est-ce que les gens méchants sont aussi moches que vous ?
— Bon, va jouer avec tes amis. Tu comprendras tout ça plus tard. Enfin, tu comprendras tout ça plus tard si les méchants ne te zigouillent pas avant.
— C’est quoi zigouiller ?
— C’est le cri que font les oiseaux.
Allez, maintenant va rejoindre tes amis.
— Les méchants sont des oiseaux qui crient ?
— Mais non ! Les méch… en fait oui ! Oui, c’est ça.
— Les oiseaux volent.
— Voilà. Une information que je n’ai pas eu le temps de confirmer, mais que tu viens de m’apprendre.
— Mais vos murs ne volent pas.
— Et alors ?
— Les méchants peuvent voler au-dessus de vos murs pour faire leurs méchancetés.
« Mais il est vraiment con ce gosse ! »
— C’est ça !
— Vos murs ne servent à rien alors.
— Exact !
— Ils ne volent pas.
— Malheureusement non !

— Alors vous êtes bête.


— Bon ça suffit maintenant ! Laisse-moi lire le journal ! le gronda-t-il.
L’enfant le fixa quelques secondes puis, juste avant de courir rejoindre ses amis, lui dit avec sa voix fluette de petit garçon à l’apparence innocente :
— vous êtes moche, bête et méchant. Vous êtes un drôle d’oiseau.
Depuis ce jour, Bibi ne va plus dans ce parc et a vendu son canari au plus grand dam de sa fille. Mais le visage de cet enfant lui revient souvent à l’esprit comme si s’y cachait derrière, une révélation, un sens à creuser.
Mais il balayait toujours cette image en se disant :
« Mais qu’est-ce qu’il est con ce gosse ! ».
À suivre…

*2015