Lafoda couverture
Magdalena et Barney
« -Pourquoi je suis toute nue sur mes photos ?
Parce que la nudité est intemporelle.
On ne peut pas savoir si c’est une photo datant de 1994 ou de 2014.
Tu vois ce que je veux dire ?
C’est une sorte d’indicateur, I guess.
-Il y avait sans doute aussi un désir de séduction, non ?
Un désir de séduire la ou le spectateur en montrant votre corps nu ?
-Oui, c’est une évidence.
C’est ce qu’on fait toutes et tous, non ?
Avec vêtements ou sans.
-Plusieurs groupes et associations critiquent violemment ce que vous faîtes car vous seriez le symbole actuel de la femme-objet sur plusieurs réseaux sociaux.
Vous feriez partie de ces femmes qui alimentent la discrimination envers la Femme.
Que pensez-vous de ces critiques ?
-Je suis triste.
Triste de constater que leur nombre diminue chaque année.
Une espèce en voie de disparition, ces conservatrices et conservateurs.
Triste de perdre chaque année encore un peu plus de publicité gratuite.
-Mais si vous étiez devant l’une d’elles, qu’est-ce que vous auriez aimer lui dire ?

-Qu’il y a une première fois à tout.
Même pour réfléchir.


-Magdalena Wosinska, quels sont vos projets futurs ?
-Le Temps est un sujet qui m’attire tout particulièrement :
il nous façonne, nous gère, nous tue, nous rajeuni.

Et nous, on s’y soumet, on le remet en question, on l’étire, on le supprime.


Cette interaction entre lui et nous est ce que j’appelle « ambiance ». J’explore donc plusieurs ambiances dans mon prochain livre.
-De le même manière que dans votre précédent livre, The Experience, Vol. ?
Toute nue ?
-Pourquoi pas ?
Est-ce que le Temps a besoin de vêtements ?
-Merci Magdalena Wosinska !
-Merci. »

Magdalena se lève et sort du restaurant pour se griller une cigarette.
Le soleil se couche.
Un restaurant au bord de la mer, agrippé aux falaises.
Un restaurant qui avait comme caractéristique d’accueillir des artistes avec un grand potentiel et leur permettre de côtoyer investisseurs et journalistes.
Un restaurant qui se veut discret.

Mais ce qui nous intéresse pour l’instant, c’est le perroquet qui se trouvait à l’entrée du restaurant.
Un perroquet avec un gros bec noir.
Sa patte attachée à un fil, il tentait pour se divertir, de marcher sur la planche en bois qui se trouvait au sommet d’une branche qui permettait aux clients de se retrouver nez à nez avec la bête.
Et il en a vu des clients passer.
Barney.
Le perroquet s’appelle Barney.
« -…et c’est pas joli joli ce que je vois tous les jours dans ce resto.
Mais ‘y a un truc particulièrement emmerdant et qui est une constante ici : on me prend pour un mec !

« JE SUIS UNE FEMELLE ! Je suis une femelle ! » je leur gueule.


Rien à faire.
Veulent pas comprendre.
Ils se retournent toujours vers le ou la boss, avec des sourires et des rires qui inspirent la chiasse aux nourrissons et lui disent à chaque fois :
« Qu’IL est BEAU votre perroquet !
Qu’IL est VERT votre perroquet !
Est-ce qu’IL parle votre perroquet ? »
Un peu qu’je parle connasse !
Connard !
Depuis tout à l’heure, je t’explique que je suis une femelle !
« -Wow ! Allô ?! Allô ?! Moi être femelle !
-…
Et IL parle bien en plus ce perroquet !
-… »
-Tu peux parler toi !
On sait pas si tu es une femelle ou un mâle !
C’est vrai que « Barney » pour une femelle…
c’est limite.
Mais faut vivre avec son temps, c’est ce que je dis toujours.
Depuis 6 ans que je promène mon cul sur cette planche, j’ai su m’adapter et faire le perroquet de service.
Je ne vous cache pas non plus que j’ai développé un certain sens de l’humour qui ne plaît pas à tout le monde.
Surtout à Francis, le mec qui s’ « occupe » de moi.
Mais…ça me divertis.
Ouais, je suis un perroquet en colère !
Je ne suis pas contente !
On m’a tatoué VTFE sous l’aile : sûrement mon numéro de série.
Et quand ‘y a des énergumènes qui me fatiguent, je lève l’aile.
Eux se tapent un petit spectacle d’oiseau exotique.

Moi, ça me permet de leur dire Va Te Faire Enc. sans broncher et sans m’attirer les réprimandes.


Non, je ne suis pas contente mais ça ne m’empêche pas de m’amuser un peu.
Et puis il y a des exceptions des fois.
La Magdalena là, elle en fait partie.
On a eu ce moment entre nous où les mots n’avaient pas besoin d’être prononcés.
On s’est échangé plusieurs regards.
Et ce moment rare s’est produit : vous savez, ce moment où l’autre reconnaît votre identité, votre présence.
Non, moi j’aime bien Magdalena.
D’ailleurs, lorsqu’elle partait, j’ai voulu lui faire un clin d’œil en lui montrant mon dos comme elle le fait dans ses photos.
C’est là que je vois venir Francis.
Tout rabougris.
Mécontent, comme d’habitude.
Qu’est-ce qu’il est vilain ce Francis.
Une idée de génie m’est apparue soudainement.
Au moment où Francis et Magdalena se sont croisés, l’un pour rentrer et l’autre pour sortir, ils étaient à mon niveau.
Et c’est à ce moment-là que j’ai gueulée :
-SALOPE !
Tout le monde s’est retourné.
Tout le monde a regardé la scène.
Tout le monde a fait le lien.
Et Francis a été viré.
Aujourd’hui, c’est Michelle qui s’ « occupe » de moi.
C’est pas mieux mais au moins, c’est une femme.
Comme moi.»

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https://www.magdalenawosinska.com/story-grid/332/personal-projects-from-the-last-few-decades

*2015