Lafoda couverture
JE TE CHATOUILLE L’ÊTRE (avec son de Antônio Carlos Jobim – Stone flower ou de Tomatito- Rumba de la lira)
‘- Ou, « tu me tiens, je te tiens ».
- ...je ne sais pas.
- On se tient ?
- Mmm : non...
- Je te chatouille ?
- Ah...là on parle !
- Je te chatouille l’être ?
- Encore mieux !’

Fragment trouvé récemment près d’Athènes, témoignant d’une conversation entre Platon et Socrate se réunissant et discutant d’un possible projet futur sur ce qui sera plus tard nommé comme étant le « Criton ».

On est en 310 avant Jésus le Christ. La Grèce en est à son âge d’or : le commerce mercantile bat de plein fouet et la démographie augmente. Les polis jouent un rôle décisif quant à la configuration et à l’intéraction humaine qui a fait de l’Occident ce qu’elle est aujourd’hui : il y avait des lois, des droits, une « police », une démocratie, un sénat, des commerces, des artistes, une armée, des ruelles, des maisons, des gens dans la rue qui s’emmerdent, des arbres.
La Grèce antique fut l’avènement, le big- bang de la civilisation occidentale : il y jaillit toutes ces richesses de pensée, de sculpture, de peinture, de fissure et d’autres choses, c’est sûr. Il y naquit la philosophie ! À Milet plus précisément. On vit y naître un Socrate, un Platon, un Aristote,...un Hippocrate, un Thalès et bien d'autres.
Nous sommes à Athènes. Le Soleil est à son zénith. Aucuns nuages à l’horizon. Il fait 35°C à l’ombre. La pression atmosphérique est de 35 barres. On n'a jamais vu ça depuis 70 ans. Un vieil homme (la trentaine à l'époque) est assis sur les escaliers. Il boit un thé et observe les gens passer. Derrière lui, une bâtisse avec un écriteau : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Le vieil homme porte une longue barbe blanche. Sa toge souple laisse entrevoir une excroissance au niveau de son ventre : de la graisse : il était gros. Il pose son verre de thé et sort une pipe. Il la fume. Soudainement, quelque chose retient son attention. Des pas viennent vers lui. Une légère poussière s’évapore, caressant les pieds de celui qui les articulait. Lui aussi porte une toge. Plus courte : une robe blanche. Ce jeune homme (la dizaine) rapporte avec lui sous son bras, un amas de scriptures. Brun. Cheveux longs. Nez-front. Visage grecque.
- Qu’est-ce qui t’amène ici de si bonne heure Pelotonpetitfils ? - lui demanda le vieil homme.
- Cela peut vous paraître étrange maître, mais je n’ai pas pu dormir... - lui répondit le jeune homme. Le vieil homme le fixa et voyant que ce jeune homme n’allait pas lui révéler la cause de son insomnie, l’aida à se vider :
- Mais pourquoi donc, mon jeune Pelotonpetitfils, fils de Tonpetitfils, petit-fils de Petit-fils et arrière petit-fils de Fils ?
- Vous rappelez-vous de notre discussion hier, à propos de l’annypotheton ?
- ...oui, mais continue mon enfant, ne t’interromps pas pour l’amour des Dieux - Le vieil homme ne pouvait s’empêcher d’observer le corps de ce jeune homme. Les cheveux bruns légèrement bouclés. Son regard d’enfant. Ses mains d’enfant. Ses pieds d’enfant. Cet âge d’enfant...
- [...] et c’est pourquoi, je me demandais s’il ne fallait pas plutôt envisager le Beau, comme étant la forme universelle dont toute chose participe.
Léger silence. Le vieil homme continue de le fixer. Il reprend ses esprits :
- Certes mon doux ami. Ton intelligence me surprendra de jours en jours. Mais entrons plutôt, cette chaleur est cuisante !
- Quelle bonne idée maître !
Ils échangent des sourires. Ils hésitent à entrer pendant une bonne dizaine de secondes en voulant laisser l’autre en premier. Le vieil homme le laisse entrer et puis, avant que le vieil homme ait pu fermer la porte :

- Oh ! Platon ?! - s’écria de joie un autre vieil homme qui s’avançait, tout content de voir un vieil ami.

Lui aussi avait une toge blanche, une très longue barbe grisâtre et les yeux dont les pupilles tendaient vers cette même couleur. Ses gestes étaient vifs, excités et imprévisibles.

Son regard, toujours écarquillé, inspirait la démence. Un nerveux comme son parent, plus de deux mille années plus tard, qu’était Louis de Funès :


- Comment va ? - lui demanda-t-il avec un léger accent marseillais.
Platon, un peu emmerdé et gêné :
- Oh tu sais, rien en ce jour si beau où les pâquerettes murmurent Mistinguette et les lézards susurrent Papette, ne pourrait m’amener à mal-aimer ma transhumance au sein de ce monde, mon bon Socrate !
- C’est bon, c’est bon ! Toujours dans le concept de l’ « Idée » et de ses copies ? - lui demanda-t-il. Platon, toujours un peu emmerdé, lui répondit avec un sourire :
- Oui.
- Ah, c’est bien, c’est bien. Bon, dis-moi ?!, tu n’aurais pas quelques minutes à accorder à ce bon vieil homme décrépis que je suis ?
- Mon ami, la vie amène souvent des surprises et... - Socrate l’interrompt et tout en s’engouffrant dans la bâtisse, lui dit :
- Oui oui, "la vie amène souvent des surprises et tout" et d’ailleurs, cette phrase est d’une telle beauté, qu’il te faudrait penser à l’inclure dans ton prochain roman. Alors, dis-moi !, ...t’as réfléchis à l’affaire dont je t’ai parlé l'autre jour ? - Platon, en faisant un geste soudain de ‘ferme ta gueule malheureux !’, lui murmure :
- Pas de ça ici malheureux ! - Platon jette un rapide coup d’œil autour d’eux ... personne. Le jeune homme devrait être dans la chambre Platonicienne, attendant sa leçon du jour. En levant légèrement la voix pour que le jeune ne soupçonne rien :
- Oui, oui mon cher ami ... vous avez tout à fait raison ! Mais allons plutôt prendre le thé dehors. - Platon s’empresse de pousser Socrate dehors qui se prend les pieds dans sa toge, glisse et mange la poussière. Platon, gêné du regard des autres qui commençaient à affluer de partout, alla rapidement relever ce bon vieux Socrate :
- ... ça fait mal ... t’aurais pu ... aïe ... doucement merde ! - Il se détache violemment de l’aide de Platon et grinche, le dos courbé.
Platon s’empresse de l’amener quelque part d’autre pour ne pas attirer autant d’attention : depuis la plainte déposée par Diogène Laërce à son encontre, il avait les autorités au cul.

Une histoire assez obscure où Platon, bourré un samedi soir, aurait pissé avec ses amis sur ce bon vieux Diogène Laërce, ou « Chien » comme il s’appelait lui-même.

Diogène fut un des vétérans du Cynisme comme mouvement philosophique dont les fondamentaux étaient l’ascèse, le fait de se défaire de toute chose, de retourner à l’état de nature et de mépriser les règles en place. Ainsi, ce Diogène manifestait son idéologie et son mécontentement face au Pouvoir, en urinant sur la place publique, en se chauffant avec sa collègue en publique, en déféquant devant tout le monde etc ... leur horizon était le monde canin : tu frappes un chien ?!, il aboie et te mord. C’est ça un « cynique » dont la racine étymologique est justement « chien ».
Ainsi, Diogène était en train de dormir paisiblement sur le pallier d’une maison, lorsque Platon et ses amis ( Aristote, Çavaçasepassetote et autres intrigants), bourrés qu’ils étaient, se seraient amusés à uriner sur Diogène. Celui-ci, tout aussi bourré, souriait de plaisir sans ouvrir les yeux, pensant que la pluie tombait. Platon et ses potes, se tapant le cul par terre, finirent par s’éloigner.
Le lendemain matin, Diogène, en se réveillant, fit une tête de dégoût en sentant cette forte odeur d'urine qui avait séchait sur lui. Il la goûte ... « mais c’est pas à moi ça !? ... qui sait, qui ... Platon ! Fils de chacal, je t’aurais ! ».
Depuis, malgré les fleurs, les fruits et les patates douces envoyés à Diogène par Platon, toute la Polis, exceptés les jeunes hommes de 10 ans, avait les yeux rivés sur lui et sa philosophie.
S’arrêtant dans un café, Platon et Socrate s’assoient rapidement en se mettant à bonne distance des autres clients. Ils commandent un thé vert chacun. Ils rapprochent leur tête :
- T’en as combien ? - lui demande Platon.
- 300 ... et de bonne qualité ! Fait sur mesure ... c’est vraiment du neuf et du propre ! - Quelques minutes de silence, puis Platon tout en chuchotant et en surveillant du regard :
- ... il m’en faut pour après-demain.
- Mais tu rigoles ?! Tu sais combien de temps il faut pour arriver au port, dépasser la douane, ensuite la route, contourner Boulisse, manger, boire, dormir etc ...
- 10 000 et on n’en parle plus... - lui dit Platon. Socrate le regarde en baissant légèrement la tête, en levant ses sourcils vers le haut, les paupières fermées à moitiés, la bouche et le menton à la manière d’un bébé triste :
- Tu te fous de moi ? Pas à tonton Socrate ça. Tu veux que j’aille dire quelques mots aux flics concernant tes jeunes amants ? ... hein ?! ... tu sais bien que ce n'est pas très polythéiste tout ça !
- ... shhhh ... baisse, baisse la voix ... Attend un peu ! On n’est pas pressé ... détends-toi, tu ne veux pas prendre plutôt un bon petit vin ? J’en connais un ... Mama Mia, tu vas t’en lécher l’œsophage.
- 20 000 et on sera sur la même longueur d'onde tous les deux. - lui dit Socrate.
À ce moment-là, des gardes débarquent dans le café, s’arrêtent un peu pour observer les clients et finissent par s’asseoir au bar, sirotant leur bon petit verre d’hydromel.
- Ne t’inquiète pas ... - lui dit Socrate - ... je les connais. Alors, on est d’accord pour 20 000 ? C’est bon ? - demanda Socrate tout content et en se levant. Platon le rassoit brusquement :
- 10 500 et on n’en parle plus.
- Si si, on va en parler. Ce qui est clair, c'est qu'en-dessous de 18 000, c’est pas sûr qu’on arrive à dépasser la ville de Boulisse et tous les flics que je dois graisser les pattes.
- Bon, 17 500 et on n’en parle plus. Là, je pense que c’est correct et ça me va. - murmura Platon.
- Et comment je fais pour les médicaments de ma femme ? - demanda Socrate.
- Tu n’as pas de femme Socrate ...
- Tu sais Platon, je t’ai toujours dit que la seule chose qu’il te manquait était l’imagination ... c'est vrai, je n’ai pas de femme et alors ?! Tu ne peux pas, une seule seconde, te détendre, te décoincer et jouer un peu ? Tu ne peux pas – il arrache un bout de sa toge, y écrit ‘Zeus’ et se le met sur le front – te mettre dans la peau d’un personnage de fiction ? Tu es toujours sérieux. Détends- toi !
Les gardes, ayant reconnu Socrate, le saluèrent et un d’entre eux, plus réservé et à l’œil rieur, s’avança lentement vers eux, pris une chaise et s’assit. Platon et Socrate, l’ayant remarqué, mimèrent un dialogue philosophique pour ne pas réveiller les soupçons :

‘- Ou, « tu me tiens, je te tiens ».
- ...je ne sais pas.
- On se tient ?
- Mmm : non...
- Je te chatouille ?
- Ah...là on parle !
- Je te chatouilles l’être ?
- Encore mieux !’


- Alors ?! On joue aux cartes en cette belle fin d’après-midi ? - demanda le garde.
Platon, faussement surpris de la venue du garde :
- Que voulez-vous Xanuxes, la philosophie n’est pas si amusante ! Souvent, il nous faut retourner à la surface pour y prendre une bonne bouffée d’air. - le garde pousse un énorme cris de rire bien exagéré, tape sa main sur la table tout en baissant la tête de rires, reste comme ça pendant une bonne minute.
Platon et Socrate sourient aussi mais de façon crispée.
Le garde reprend ses esprits, se lève, prend une bouteille de vin et 6 verres, les ramène et s’assoit. Il prend son temps et verse du vin dans chaque verre tout en continuant à sourire. Trois autres gardes rejoignent la table, croyant y être invités. Xanuxes ne rit plus soudainement. Il reste en train de regarder ces trois gardes avec un air noir. Tout le monde se regardent. Ils comprennent. Les trois gardes repartent au bar. Xanuxes, reprenant soudainement son faux sourire et les regardant bien fixement, leur dit :
- Quel est donc ce jeu auquel vous jouez ?
Platon lui répondit :
- On se met dans la peau de personnages. - Socrate jette un léger coup d’œil surpris et gêné de ce début d’improvisation vers Platon sans tourner sa tête.
Platon continue :
- On inscrit un personnage chacun sur une feuille. On prend celui de l’autre sans le regarder. On se les échange et on le met sur le front. Le but est de deviner qui est sur notre front. - Socrate le regarde surpris et mal à l’aise et tout en rigolant faussement et voulant changer de sujet :
- Xanuxes, on est juste là à bavarder sur la vie et ses surprises. - Xanuxes, interrompant Socrate et fixant toujours Platon :
- On peut y jouer à votre jeu ? - Platon serein, lui dit :
- Bien sûr.
- Parfait ! Qu’est- ce que c’est bon de jouer contre des philosophes ! Aïe que c’est bon ! - il fait un geste à Platon et à Socrate signifiant qu’ils devaient au moins tenir le verre de vin dans leur main.
- Alors commençons sans plus tarder ! – Xanuxes se frotte les mains. Platon commence à déchirer sa toge pour y inscrire un personnage, lorsque Xanuxes le retint et lui dit tout en touchant sa toge avec un ton faussement choqué et paternaliste :
- Mais non ... ne m’esquintez pas cette laine – il déchire deux morceaux de sa propre toge, en garde un pour lui et donne l’autre à Platon.
Ils jouent.
De faux rires nerveux ici et là.
Après plusieurs questions sur son personnage, Xanuxes lança :
- Je suis un personnage de fiction, je ne sais pas de quoi je parle, je dis n’importe quoi, j’ai trop d’imagination, je chante, j’ai une forte carrure, j’aime les cerises et j’ai le regard diminué ... je sais, je suis un Cyclope ou un Troll ! - dit-il tout content.
Platon lui dit non.
Xanuxes, déçu, finit par lancer avec un air d’évidence :

- Alors je suis Aristote. - Platon et Socrate l’applaudissent, surpris de cette déduction.



Après cet événement, Platon paiera sa caution sans aucune difficulté. Socrate, par contre, sera accusé d’atteinte aux croyances divines, d’influence néfaste sur la jeunesse et de rébellion face au Pouvoir : les juges lui administrèrent un ultimatum : « Soit vous sortez de cette Polis - côtoyant assassins de vieillards et voleurs de vieillards -, soit vous acceptez la mort comme sanction ultime. » - Socrate décida de rester. Et d’y périr. Il avait trop peur de ceux qui l’attendaient là-bas dehors, qui lui auraient réservé une lente agonie, à cause d'histoires de dettes impayées etc...

Il décida, avec l’aide de Platon, de rédiger sa défense : « Le Criton ». Un livre philosophique sur le courage et la droiture. Mais rien n’y faisait : aucun livre, philosophique soit-il, ne pouvait faire changer d’avis les juges.


La postérité aura retenue une mort sous ciguë (un poison). Mais officieusement, son assassinat s’avérera s’être passé d’une autre façon : on lui rasa les cheveux, la barbe, on lui tatoua tous les noms des anciens Dieux grecques sur le corps, on lui enleva les doigts, les yeux, on lui inséra quelques objets dans un lieu du corps où l’expulsion est plutôt le principe. Du sang et de la poussière partout sur lui. Le corps tuméfié. On le tua à coups de pierre. On l’attacha derrière une charrette poussée par des chevaux qui firent 70 fois le tour de la cité. Autant dire que le sol d’Athènes garda l’essence de Socrate.
Quant à Platon, il fut terrorisé et triste de voir son cher ami de 70 ans traité comme une vulgaire poupée. Il décida ainsi de rendre hommage à son ami à travers quelques uns de ses livres, en présentant sa façon si particulière de négocier : « Poser des questions à l’autre pour le mettre face à ses contradictions, pour ensuite l’amener à affirmer ce que l’on veut et convergera donc vers nos attentes et la dialectique Socratique : ‘Je sais que je ne sais pas’.
Platon, lui, ne voulant pas perdre ses avantages à pouvoir profiter des plaisirs masculins, rentra dans les rangs et fut l’instigateur, le penseur, le papa, la source d'un des monothéismes et de la démocratie. Aujourd’hui, l’Occident baigne de cette ambiance de sagesse.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Criton_(Platon)

*2012